L’intégrale de la musique
montage labels

Drôle d’idée d’en lancer un en 2020? Après tout, pourquoi pas! C’est qu’on en a vu éclore quelques-uns ces toutes dernières années, dans notre paysage musical. Attentes, ambitions, soucis, fonctionnement, productivité, pour faire plaisir ou se faire plaisir: le point avec certains des plus récents de ces labels. Dans des styles bien différents.

Voilà un bon moment que Fabrice Lamproye repensait, avec un peu de nostalgie précise-t-il, à Soundstation, le label qu’il pilotait fin des années 90, début des années 2000. Celui des Miam Monster Miam, My Little Cheap Dictaphone, Jeronimo, Superlux, Yann Tiersen, Françoiz Breut... «C’est une activité que j’aimais beaucoup. Qui me manquait. En janvier, j’ai été voir Jean-Christophe Renault au studio Dada, je connaissais, mais j’ai vraiment flashé sur ses compos. Et un peu comme à l’époque avec Sacha Toorop et Zop Hopop pour la création de Soundstation, je me suis dit que c’était l’occasion de lancer un label.»

L’occasion qui fait le larron n’est pas la même selon les divers intéressés. Ainsi, pour les deux de La Jungle, dans la foulée de la sortie d’un double album live travaillé avec Greg Noël chez Exag’ Records, il restait quelques sorties possibles et non encore estampillées. «On s’est rendu compte, explique Rémy Venant, le batteur, que ce genre d’autoproduction reste une manière de sortir des disques qui nous tiennent à cœur. Ça correspond bien au projet, cette volonté de pouvoir faire la plupart des choses par nous-mêmes sans forcément adhérer à de trop grosses structures. On peut se débrouiller comme des grands, et c’est là qu’on s’est dit qu’on allait créer notre propre label.» Résultat? Première sortie sur Hyperjungle Recordings début juin, sous un format split 10’ partagé donc avec le projet Hyperculte. Une deuxième sortie était planifiée fin août, un triple album de remixes des titres de Past / Middle Age / Future paru en 2019. La philosophie d’Hyper-jungle s’affine: «Ce ne sera pas un label dédié aux albums de La Jungle mais plutôt un espace de collaboration. Ce ne sera pas juste nos sorties, mais des sorties de La Jungle avec toujours un, deux ou trois petits “plus”, grâce à ces collaborations.»

Chez Hypnote –on est ici du côté jazz–, l’idée d’un label est née d’un constat fait par Giuseppe Millaci et Jonas Verrijdt. «Il y a de plus en plus de musiciens qui jouent de cette musique, résume le premier. Surtout à Bruxelles. Et donc, il y a de plus en plus de projets, de plus en plus de talents qui viennent de tous horizons en Europe. Par contre, des labels, il y en a de moins en moins, d’autant si l’on compare la situation récente à celle des années 2000. Il fallait absolument bouger!» Le contrebassiste et l’ingé-son ont alors créé une asbl et inauguré un catalogue, en 2017, avec trois albums: le premier disque du propre projet de Giuseppe Millaci, puis Horizons par le quartet du saxophoniste Fred Delplancq et Suite Três Rios de Dan Costa. «On a aussi dû démarcher pour trouver un distributeur, parce qu’on ne s’improvise pas label si on n’a pas une distribution physique.»

Parmi les petits derniers arrivés sur le marché figure également Capitane Records: un label qui synthétise toutes les années pendant lesquelles une série d’artistes ont travaillé ensemble. C’était même plutôt, à l’origine du projet, un collectif de production gravitant autour de Nicolas Michaux. On y retrouve entre autres Clément Nourry, Turner Cody ou encore Grégoire Maus (de b.y_records)... Comme l’expliquait celui-ci sur les ondes de Radio Panik: «On s’est dit qu’on ne s’en sortait pas mal et que ce ne serait pas une mauvaise chose de donner un nom à cette collaboration. Donc de facto créer une structure qui pourrait nous représenter, dans l’idée d’aller un peu plus loin, de produire les disques jusqu’au bout, avec le pressage, la diffusion, la commercialisation...» Et c’est ainsi que Capitane a vu le jour, «matérialisé» par l’excellent album d’Under The Reefs Orchestra (soit Clément Nourry, Louis Evrard, Marti Melia et Jakob Warmenbol).

L’utile et l’agréable

Chez Flak, il n’y a ni pression, ni grosses ambitions commerciales, mais une belle part de plaisir personnel pour Fabrice Lamproye. «C’est avant tout partager des choses qu’on aime bien. Également avec les artistes et je pense qu’on est vraiment sur la même longueur d’ondes avec Jean-Christophe Renault. Partager plutôt que d’avoir un plan de carrière, des planifications de sorties de singles... tout ce que j’ai pu connaître à une certaine époque.» Et puis, c’est la famille! Le nom choisi pour le label («Ce sont mes initiales et celles de ma compagne») reflète un état d’esprit: «L’idée est aussi de sortir les disques physiquement, en vinyle. Ce sera certainement une constante. Ensuite, j’ai demandé à un de mes fils de travailler sur un logo (un martin-pêcheur stylisé-ndlr), on en est arrivé à imaginer une ligne de vêtements, un peu de merchandising... Et ça devient peu à peu une petite entreprise familiale. Tout en restant de la petite épicerie par rapport à la grande surface! »

La Jungle a voulu «pousser le truc un peu plus loin»... Ne pas rester le groupe qui tourne et prend 100 balles (sic), même si faire des dates est absolument génial. «Et ça nous manque très fort, martèle Rémy! Le label, c’est aussi un très bon prétexte pour sortir des disques, des cassettes et des CD. Ce n’est pas se mettre une pression, mais en même temps, il faut l’alimenter, avoir des idées, toujours de nouveaux projets, un peu comme le fait Damien (Damien Aresta-ndlr) avec Luik Records et It It Anita...». Chez Hypnote, il paraît qu’on peut annoncer une bonne nouvelle chaque année. En tout cas, depuis juin, le label travaille en partenariat avec la Jazz Station. «Si tout va bien, notre nouveau siège social sera inauguré Chaussée de Louvain au mois de septembre. Nous avons un bureau à l’étage, nous sommes les voisins des Lundis d’Hortense... Avoir un temple du jazz à Bruxelles, c’était très important. Et la Jazz Station, en quelque sorte, en est devenue un ces dernières années. Avec le label, il y a maintenant des projets très différents dans le bâtiment!»

Un parcours d’obstacles

Giuseppe Millaci aimerait que les artistes signés chez Hypnote soient fidèles. À cet égard, le jazz est pourtant un milieu particulier: «On n’oblige pas un artiste à accepter une exclusivité, on lui laisse le choix. Souvent, en jazz, on n’hésite d’ailleurs pas à switcher de label pour chaque production.»

Ailleurs, comme souvent, l’argent reste le nerf de la guerre. Pour La Jungle en tout cas, c’est le compte en banque qu’il faudra tenir à l’œil. «On a puisé dans nos réserves de ces quelques dernières années pour pouvoir l’assumer financièrement. Quand on sort un disque, et a fortiori en vinyle, ça a un coût. On n’a jamais voulu faire de crowdfunding parce qu’on estime qu’on n’a pas à demander d’argent aux gens. Si en 2021, on ne peut toujours pas tourner, ça va commencer à devenir compliqué! On va voir ce que cette crise nous réserve.»

Fabrice Lamproye ne dit pas autre chose, à ceci près que Flak n’est pas le “bébé” d’un artiste ou d’un groupe en particulier. Un avantage? «Je ne sais pas... Quelque part, c’est un peu de la folie, surtout quand ton parti pris est de sortir l’album principalement en physique. J’ai peut-être plus de recul parce que j’ai déjà eu un label, mais beaucoup de choses sont nouvelles, comme l’importance du développement digital. Là, j’ai quand même besoin d’être guidé par des gens qui sont à fond là-dedans depuis des années et donc, je travaille avec Benjamin Schoos, de Freaksville. J’ai peut-être une vision un peu old school du label... que j’aimerais remettre au goût du jour.»

Un article issu du magazine Larsen°39 - septembre / octobre 2020