L’intégrale de la musique

Prononcez-le “baïchou”. La salle de concert a ouvert ses portes à Tours & Taxis, en septembre 2022. Créée par Martine Renwart et Emmanuel De Ryckel, ses ambitions dépassent le cadre d’une “simple” programmation et le lieu entend réunir toutes les populations du quartier en proposant d’autres types d’activités, tant culturelles que sociales. Ici, les maîtres-mots sont : rencontre, mixité et inclusivité. Présentation et visite guidée avec la maîtresse des lieux.

Pour s’y rendre, on peut emprunter le nouveau pont qui enjambe le canal entre le quartier de la gare du Nord et la rue Picard qui mène à Tours & Taxis. La vue est parsemée de chantiers de construction et, ce matin-là, la vie s’éveille doucement dans les entrepôts devenus galeries marchandes : “concept store”, clinique esthétique, bureau d’architectes, quelques restaurants et snacks chics-bios, spa oriental, antiquités…. Le quartier change, c’est sûr, le renouveau est en marche. À quel prix ?

L’entrée du Baixu se trouve un peu plus loin, près de l’École de Cirque. Une affiche élégante, une typologie soignée : c’est là, en bas de l’escalier. Tout nouveau, tout beau, l’endroit vit sa première saison dans le sous-sol de l’ancien site industriel. Ces “caves”, pour l’instant sous-employées, seront sûrement un jour la réplique souterraine des galeries en surface mais, pour l’heure, ce sont surtout des couloirs, murs en briques et grosses portes en bois brut. Seuls vivants en ces lieux : la coopérative Permafungi et son voisin : le Baixu.

L’endroit est chaleureux. Si la brique apparente et le style industriel ont été préservés, aucune concession n’a été faite quant à la praticabilité pour les artistes. Martine témoigne : « Quand j’ai découvert la cave, elle avait 100 ans de poussières, pas d’eau, pas d’électricité, rien du tout » et elle ajoute en riant qu’il a bien fallu « un petit brin de folie pour se lancer là-dedans ». “Se lancer là-dedans” a commencé par des travaux : peindre, échafauder, décorer et, surtout, garantir une acoustique irréprochable. En la matière, on aurait difficilement pu faire mieux : le Baixu a fait appel au même acousticien que… Flagey, La Monnaie et Bozar. Un très bon piano complète le tableau.

Car, côté concerts, on s’oriente vers les répertoires du classique, du jazz et des musiques du monde. Chaque mardi soir, on peut aussi participer (ou assister) gratuitement à une jam “à thème” : manouche, handpan ou “Roda de Choro” d’ascendance brésilienne. Du côté des artistes, on s’est déjà bien passé le mot. « Je pourrais faire cinq concerts par jour tous les jours de l’année ! ». Les propositions affluent, il n’y a “plus qu’à” fidéliser le public, ce qui ne devrait pas être trop difficile car l’endroit peut aussi s’enorgueillir d’une qualité d’accueil avec une capacité de 80 à 130 personnes, un bar autour duquel tout le monde se côtoie gaiement après-spectacle et une salle modulable où l’on peut jouer aussi bien sur la scène que dans le coin salon ou encore au milieu de la salle, entouré·es du public. Au gré des envies, on le répète : l’acoustique est excellente partout.

Mais cet écrin, qu’on devine être un formidable outil de travail pour les artistes, est aussi destiné depuis sa gestation à un projet plus large, mêlant culture et vocation sociale. Martine et son associé Emmanuel ont partagé le constat que Bruxelles, vive et multiculturelle, regorge de possibilités de rencontres mais manque de lieux conviviaux où les convoquer. Sur le site Internet, ils soutiennent que « l’art sous toutes ses formes (peut) être un levier puissant pour se construire et bâtir une solidarité commune ». Un credo forgé par la combinaison de leurs expériences de vie. Martine a accompli durant quatorze ans des missions sociales au Brésil… après une carrière de 12 ans à La Monnaie ! Emmanuel, riche d’expériences brésiliennes également, partageait son envie de favoriser les rencontres en organisant des concerts. C’est ainsi que la “culture” et “le social” se sont assemblés autour d’une seule et même idée, concrétisée par ce lieu aux multiples ressources.

Leurs buts ? Contribuer au soutien des artistes et encourager l’accès à l’art pour des jeunes qui n’y ont pas ou peu accès. Donner un coup de pouce aux jeunes talents, y compris en leur louant la salle à des prix attractifs. Et enfin, et surtout, favoriser un mélange social, culturel et générationnel.

C’est là tout l’enjeu du projet et en même temps sa difficulté, mais les cartons débordent d’idées et d’énergie : en moins de six mois Martine a déjà tissé des liens avec la Maison des Cultures de Molenbeek, des associations locales, le Centre Communautaire Maritime, le Comité de Quartier « de l’autre côté de la passerelle », etc. Des forces motrices qui viennent compléter son ancien carnet d’adresses et élargir les perspectives.

Le matin de notre rencontre, Martine et moi sommes seules dans la salle mais « c’est rarement aussi calme, le lieu est de plus en plus souvent occupé », confie-t-elle. En journée, l’ouverture se veut maximale : un partenariat est déjà amorcé avec l’École de Cirque en vue des congés scolaires, un professeur de musique vient répéter certains mercredis après-midi avec les enfants du quartier et un projet est aussi en gestation avec le Théâtre Royal de Toone… sans compter les répétitions, activités thématiques et évènements privés qui mettent du beurre dans les épinards car les instigateurs du Baixu ont pensé à tout : sans perspective de subvention au cours de la première année, l’équilibre financier est un exercice délicat qui ne doit pas empêcher la juste rémunération des artistes, ni l’accessibilité au plus grand nombre.

“Baixu” signifie “beau” en langue Pataxó. Ainsi les Brésiliens ont-ils baptisé leur Maison de la Culture lorsque Martine menait ses activités auprès d’eux. Aujourd’hui, avec son associé, elle baptise de la même manière son propre vivier, sa propre terre d’échanges. Une invitation à la rencontre suscitée par tout ce qui est beau. On a envie d’y croire.