ART BASE
Entre musiques du monde et jeunes musiciens "classique"
Véronique Laurent
Dans un quartier de la capitale à l’incroyable richesse architecturale, Art Base coule, au rez d’une maison moderniste, des jours intenses et heureux. Le lieu est habité par la passion de son initiateur, Frans de clercq, pour les musiques du monde et par son soutien indéfectible aux jeunes musiciens « classique ».
En dehors des pavés battus, l’endroit fait figure de halte discrète, limite secrète. L’adresse se refile entre belges, grecs, argentins, indiens... musiciens classiques ou de musiques du monde. Elle s’est forgée une réputation auprès des connaisseurs et croule sous les demandes. Le Hollandais Frans De Clercq, installé en Belgique depuis de nombreuses années, nous ouvre grand la porte de sa petite salle : juste deux marches à grimper depuis le trottoir de la rue des Sables, non loin de la rue Neuve à quelques dizaines de mètres de là.
Art Base tourne depuis 2006 : J’ai ouvert cet endroit avec un ami, raconte cet interprète de formation et fan de musique grecque. Galerie d’art et petits concerts ; on a fait ça pendant trois ans. L’équilibre a basculé depuis. Tous les deux mois commence une nouvelle expo, mais la musique prédomine, cinq concerts par semaine, environ. Au début, on a fait ça en tâtonnant. Le lieu a trouvé maintenant sa vitesse de croisière.
Bras, corps, musique à coeur
Méli-mélo architectural, le quartier peut se vanter d’englober pêlemêle la merveilleuse place néo-classique des Martyrs ou le drôle d’immeuble brutaliste aux alvéoles de béton de l’ancienne CGER. La courte rue des Sables se cache derrière les écrasants bâtiments administratifs d’après-guerre du boulevard Pacheco qui, eux-mêmes, vivent dans l’ombre de la Tour des Finances et de son jardin surélevé et caché, dessiné par le célèbre architecte-paysagiste René Pechère. Quand Frans De Clercq acquiert le petit immeuble, conçu en 1932 par les frères Brunfaut, il sert à ce moment de base à des ouvriers qui rénovent un squat dans la rue ; ils y mangent et s’y changent. Longtemps laissé à l’abandon, le quartier est en train de se modifier, de se gentrifier. En effet, en face, le bâtiment Art Nouveau, plutôt impressionnant, se prépare à devenir le Centre de la Bande Dessinée. Tout contre le futur Art Base, on retrouve un immeuble, haut et étroit, typique de l’architecture du début du 20e siècle. Idem un bâtiment plus loin : c’est celui de La Presse du Peuple, construit en 1905.
À l’origine, la maison forme le bras perpendiculaire, et séparé, de l’extension du journal La Presse du Peuple. Le corps principal de cette extension pointe, dans la ligne moderniste, une tour verrière vers le ciel. Sa façade donne quant à elle sur la rue d’à côté. Ironie du sort, cette partie-là, investie depuis presque trois ans par le label indépendant [PIAS], abrite actuellement une salle de concert dans son sous-sol. De dimensions modestes, la maison de la rue des Sables fait figure de dissidente à échelle humaine. Percée de baies vitrées horizontales, porte centrale accueillante, briques belges jaunes sur la tranche, courbures et carreaux de céramique, la façade classée attire le regard par le décalage avec ses voisines. À l’intérieur, tout ou presque y est refait, sans attention particulière portée à l’acoustique d’ailleurs, qui par un heureux hasard ou bien la grâce du talent des architectes, s’avère excellente.
À l’époque où le projet prend forme, Frans De Clercq, joueur de bouzouki, se produit avec des amis dans divers endroits de Bruxelles. Le groupe joue une musique inspirée par le Rebetiko, ce « blues » grec apparu dans l’entre-deux guerres. Pourquoi pas avoir un lieu propre où jouer ? C’était l’idée au début, confie le grand Hollandais. Aujourd’hui, lorsque son groupe se produit, c’est souvent pour récolter des fonds, aider un village au Cambodge ou une organisation grecque qui cuisine dans la rue car la vie est dure, là-bas.
Surface de contact maximal
Un mur courbe rappelle l’architecture d’origine, quelques rangées de chaises, coussins sur les assises, des radiateurs bas pour laisser place à des banquettes, un bar, avec du raki... et c’est tout. Ça suffit. Ce qui se passe pendant les concerts, c’est assez étonnant et un peu magique. Le contact est extrêmement direct. Il n’y a aucune distance entre musiciens et le public et ça crée, je trouve, quelque chose de très spécial. Parfois, une estrade se monte suivant les besoins des artistes, mais on peut toujours en tendant la main, du premier rang, presque les toucher. Un public d’habitués ou de curieux, et pas mal de gens seuls. C’est très social, ici, et je discute facilement avec tout le monde.
Les musiciens aiment le lieu et la formule. J’ai des propositions de toutes sortes, mêmes des groupes punks... Mais la ligne de program- mation, c’est « classique et musiques du monde » : indiennes, arabes, grecques, musiques manouches, des Balkans, flamenco, tango... Une petite entorse ? On a participé à une édition d’Ars Musica, qui nous a envoyé un groupe de rock expérimental, assez électrifié. Ils étaient dépités en voyant l’espace. Ils ont construit un mur d’amplis au fond. Ça devait être la plus petite salle dans laquelle ils avaient jamais joué !
Baseline d’Art Base ? Rapprocher le public des musiciens. À moins que ce ne soit l’inverse. Frans De Clercq : Ce que j’adore, c’est de donner l’opportunité aux jeunes musiciens de jouer. Un piano à queue Schimmel est mis à disposition. Ils sortent du conservatoire, se préparent à des concours et subissent une pression énorme : ils doivent avoir la possibilité de s’exercer devant un public. Un tel type de salle manque à Bruxelles constate le musicien-programmateur, qui poursuit : Je dois m’assurer qu’Art Base continue à vivre, mais le lieu n’exige pas d’impératifs financiers lourds à porter ou de présence du public. L’homme se montre content avec une vingtaine de personnes par concert. Mais plus souvent plein que l’inverse, l’endroit intimiste renouvelle, presque chaque soir de la semaine, le plaisir du partage d’un moment musical de qualité, sincère et sans chichis.
Un article issu du magazine Larsen°32 - mars / avril 2019