L’intégrale de la musique
© photo : Nicolas Alsteen

Entre appétit musical et passion gastronomique, Le Rideau Rouge met les petits plats dans les grands depuis quinze ans. Ouverte à tous les genres, la salle du Brabant wallon organise régulièrement des concerts. C’est aussi un label, un lieu de résidence et un studio d’enregistrement. De quoi nourrir d’autres envies et préparer l’avenir. 

A mi-chemin entre Ohain et Lasnes, un long muret blanc annonce la couleur : Le Rideau Rouge. À la fois salle de concert et restaurant, le lieu à célébré, en septembre 2019,  son quinzième anniversaire autour de... quinze concerts. Juicy, Ébbène, Sonnfjord, Aurel ou Tanaë étaient de la partie. 

(...) Au four et au moulin, Nicolas Fissette, chef des opérations marque une pause en terrasse pour retracer l’histoire de cette bâtisse du 17e siècle. Mes parents l’ont achetée au début des années 1990, amorce-t-il en épongeant sa dose de caféine. Au départ, c’était une ferme. Elle était dotée d’un puits où tous les gens du hameau venaient s’approvisionner en eau. D’ailleurs, quand mes parents ont racheté cet endroit, la grange était encore en l’état, jonchée de paille avec de la terre au sol. À l’époque, ils voulaient diversifier leurs activités en ouvrant un deuxième restaurant. C’est que papa Fissette est un pro. Pendant 33 ans, l’homme a tenu Les Foudres, un établissement implanté dans une ancienne cave à vin du côté d’Etterbeek. À Lasnes, il gère La Ferme de La Brire, où la grange a été rénovée et transformée en salle de banquet.

La Ferme de la Brire va servir des bons petits plats de 1990 à 2002. Après douze ans, mes parents n’avaient plus l’énergie pour s’investir dans deux établissements. Mon père souhaitait se recentrer sur son restaurant bruxellois. Il a donc mis en vente celui de Lasnes. Mais les acquéreurs ne se sont pas pressés au portillon... Dans le même temps, le fiston termine un graduat en marketing. Mon travail de fin d’études portait sur la création d’un lieu de diffusion où l’HoReCa s’imbriquait dans la programmation, précise-t-il. Le sujet en dit long sur le garçon : fan de musique, il a grandi entouré de marmitons. Une fois diplômé, j’ai voulu appliquer les conclusions de mon analyse à La Ferme de La Brire. Mais pour mon père, c’était hors de question... Pas découragé, Nicolas Fissette part à la recherche d’un associé pour assurer le financement du projet. Nous avons réussi à rassembler les fonds nécessaires pour racheter l’affaire avec, pour objectif, d’en faire un restaurant et une salle de concert. À côté de ces deux pôles d’activité, nous avons renforcé l’organisation d’événements – anniversaires, mariages ou communions – avec une cuisine et un service traiteur. Au départ, on voulait racheter le bâtiment en cinq ans. Finalement, ça nous en a pris treize...

Jeune et fou

Le Rideau Rouge ouvre ses portes en septembre 2004. À l’origine, l’idée était de rassembler toutes les musiques dans un lieu réputé pour sa bonne cuisine, explique Nicolas Fissette. Dans la grande salle, nous avons aménagé un bar et une scène amovible afin d’être polyvalent dans nos activités. Dès le départ, nous voulions être indépendants, fonctionner sans subsides, en finançant la culture via l’argent généré par l’HoReCa et les événements. Idéaliste et motivée comme jamais, l’équipe se heurte toutefois à quelques difficultés. Après trois ans, notre bilan était toujours dans le rouge. Entre les salaires et tous les frais de fonctionnement, notre gestion laissait à désirer. D’autant qu’en interne, on consommait sans compter... On faisait la fête chaque soir. Il faut bien se dire que je me lançais là-dedans, à 22 ans, sans expérience. Un peu jeune, un peu fou... L’erreur de jeunesse suscite néanmoins la réflexion. Sur un plan culinaire, nous avions placé la barre trop haut. Il est impossible de profiter pleinement d’une soirée gastronomique et d’un concert. C’est quasi antinomique. Avant un spectacle, les gens doivent manger vite et bien. Nous avons donc fait évoluer la formule vers plus de facilité. Mais sans perdre en qualité. À ses débuts, Le Rideau Rouge est identifié comme un club de jazz. Nous avions rencontré une dame du coin, très impliquée dans le milieu du jazz. Elle rêvait d’organiser des concerts et, très vite, nous avons accueilli des pointures comme Philip Catherine. Pour s’affranchir de cette étiquette jazz, Le Rideau Rouge diversifie sa programmation. Cela nous a d’abord desservis. Car le public ne parvenait pas à identifier le profil de notre salle. Heureusement, avec le temps, les gens ont compris que nous étions ouverts à tous les genres.

Pump up the jam

Chaque mardi, Le Rideau Rouge organise une jam réunissant des musiciens de la région. Le projet rassemble du beau monde. Certains soirs, plus de cinquante personnes improvisent jusqu’au bout de la nuit. En Brabant wallon, ce genre d’initiative n’existait pas. Nous sommes fiers d’avoir mis ça en place... Certains groupes se sont même formés au lendemain d’une jam dans notre salle, affirme Nicolas Fissette. Si Le Rideau Rouge a vu défiler Saule, Angèle ou Puggy, tout est ici question de proximité. Dans la salle, les gens sont à deux mètres du micro. La relation entre le public et l’artiste est vraiment particulière. Et puis, nous misons beaucoup sur les artistes du coin. Ce n’est pas une stratégie, plutôt un flux naturel : les musiciens des environs frappent à la porte la plus proche de chez eux. C’est logique. Konoba, par exemple, a fait ses premiers pas chez nous. Aujourd’hui, il remplit l’AB. Implanté à quelques kilomètres de la capitale, Le Rideau Rouge n’entend pourtant pas appâter les Bruxellois. Ça n’aurait aucun sens. Évidemment, nous sommes heureux quand les gens viennent de Bruxelles pour voir des concerts chez nous. Mais restons réalistes : l’offre culturelle y est tellement copieuse qu’il serait absurde de vouloir rivaliser d’une manière ou d’une autre...

Depuis peu, Le Rideau Rouge est également un label discographique – qui vient de signer le jeune Arty Leiso. En réalité, tout a commencé avec Sonnfjord, détaille Nicolas Fissette. Le groupe cherchait des fonds pour financer son premier EP. Nous leur avons offert plusieurs semaines de résidence dans la salle. Puis, nous avons développé un concept : le pick up jam. Il s’agit d’un vieux camion que nous avons pimpé pour en faire une scène transportable. Du coup, on garait l’engin dans un jardin et Sonnfjord jouait sur place. Grâce à cette tournée, la formation a pu récolter l’argent nécessaire au pressage de son premier disque. Aujourd’hui, nous cherchons à occuper l’espace qui sépare l’amateurisme du professionnalisme. Notre label doit servir de tremplin.

Désormais, Le Rideau Rouge est aussi câblé de la cave au grenier. Comme ça, les artistes de passage peuvent enregistrer avec du matériel de première qualité. Nous souhaitons offrir les outils nécessaires aux prémices d’une carrière. Nous sommes d’ailleurs en train d’installer un système de diffusion vidéo en direct. C’est le même principe que Facebook live, mais en multi-caméras. On a remarqué que de nombreux musiciens étaient en déficit d’images. À l’heure de la communication via Instagram et Facebook, c’est le comble. Nous voulons apporter de la matière à un maximum de projets en développement. En quinze ans, Le Rideau Rouge a donc dépassé son cadre atypique. Lieu de diffusion et restaurant, l’endroit est à présent l’antre d’un label et d’un ambitieux laboratoire discographique. Vivement la suite...

Un article issu du magazine Larsen°34 - septembre / octobre 2019