L’intégrale de la musique

Active au sein d’Aubergine Management, Paméla Malempré est en première ligne face à la frénésie d’activité musicale de l’après-Covid et au stress que cela engendre chez les artistes. Pour elle, le salut est dans l’éthique.

D’abord, il a fallu gérer l’inattendu, la fermeture, du jour au lendemain, de tous les lieux culturels. Puis sont arrivés des semblants de redémarrage, les concerts en ligne, les festivals où tout le monde devait être attablé et servi – pas désagréable, tiens ! L’histoire culturelle de la crise Covid est encore à écrire mais une chose est sûre : tous les athlètes savent à quel point les faux départs sont épuisants.

Manager d’artistes et de groupes parmi lesquels Aka Moon ou Antoine Pierre, batteur (Urbex, Next.Ape, TaxiWars, Vaague), Paméla Malempré vit les crises aux côtés des musiciens, un peu au milieu du jeu de quilles. La période dont on semble sortir, la pandémie, elle la qualifie de « perturbante ». D’autant qu’une fois les restrictions passées, tout s’est lâché de manière débridée : « Une période de relance ? De lance-pierre oui ! J’ai l’impression d’être à une course de lévriers ». Et si l’offre culturelle n’a jamais été aussi importante, débordant du week-end pour s’étaler tout au long de la semaine, « paradoxalement, la saison est bouclée d’avance, ne laissant pas de place aux nouveaux projets ».

Public, où es-tu ?

L’autre constat, c’est que le public n’est pas au rendez-vous. « Il l’était, juste après la crise Covid, mais depuis la crise financière et économique, et la guerre, il n’est plus là. » Amer constat alors que, en pleine crise sanitaire, abandonné du monde politique et en quête de reconnaissance de son utilité publique, le secteur culturel avait reçu l’appui de la population. Las ! Salles de cinéma et restaurants s’en ressentent également, et les préventes des festivals sont à la traîne, comme si une partie du public avait tout simplement perdu l’habitude de sortir. De ce fait, « chaque concert demande plus de travail et d’investissement, on doit déployer une force de promotion importante, sans certitude du résultat. »

La guerre en Europe fait que davantage d’investissements vont être consacrés à la Défense, « et l’on sait que la culture va trinquer d’abord », note Paméla Malempré. « Le budget culturel, où en sera-t-il dans cinq ans ? Où en sera le PIB ? » Tout en reconnaissant vivre « une période excitante », la manager d’artistes doit constater qu’« un projet musical n’a jamais coûté aussi cher. Je travaille avec des gens qui investissent dans leur projet, et c’est de plus en plus dur. Quelque chose est en train de changer. On est super content qu’il y ait ce regain d’activité, mais il reste beaucoup de stress. »

En tant que manager, Paméla est confrontée quotidiennement aux craintes et au stress des artistes, qui peuvent passer de l’enthousiasme au découragement. Son rôle comporte une dimension psychologique indéniable. « Ce qui est chouette avec le jazz, c’est que les musiciens ne sont pas toujours leaders d’un projet, ils sont aussi sidemen, avec des apports d’expérience et d’argent. Dans ce cas, leur investissement est nettement inférieur et ils ont moins de stress financier. »

« Râteau sur râteau pendant deux ans »

Il n’empêche, en tant que manager, elle a déjà reçu un mail d’un de ses artistes disant qu’il arrêtait le projet dans lequel il s’était engagé. « Certains se sont pris râteau sur râteau pendant deux ans. Dans ce cas-ci, j’ai réussi à le remettre sur le bateau en vingt-quatre heures. Quand certains se mettent à douter, il faut rassurer en permanence. »

Quant au batteur Antoine Pierre, leader de plusieurs projets, « je ne l’ai jamais vu aussi stressé. Il est dans l’action tout le temps. Il a beaucoup de tensions musculaires, notamment au niveau du cou, mais il dort bien. Quand il a un souci, un stress, il cherche une solution dans la structuration, il met son agenda du mois sur une feuille A4. Il a une mentalité positive. »

Gratitude et compassion

Quant au guitariste Guillaume Vierset, qui vient de publier l’excellent Lightmares avec son Harvest Group, « il est du genre à se retrouver dans l’action, il va donner beaucoup. Il a une attitude par rapport au travail collaboratif. Certains sont dans la gratitude. On sent tous qu’on est comme des arcs tendus et certains sont très encourageants, dans la compassion naturelle. Cette période favorise aussi cela. »

Et au fond, vous, Paméla, comment vous sentez-vous ? « Je mange comme quatre, alors que je mincis. J’ai la dalle et je me ronge tout le temps, ce qui fait que je brûle énormément de calories. J’envoie cinquante mails par jour et tous les groupes ont de l’actu en même temps, ce qui n’est jamais arrivé. La charge de travail s’accumulant, je perds toutes les bonnes habitudes, comme le yoga. Donc, oui, des angoisses, être à la fois au four et au moulin, mais je ne vais pas me plaindre de ne pas avoir une vie chiante et monotone ! »

Alors, oui, ça se bouscule, tout le monde s’affaire au milieu d’une offre déjà pléthorique, sans être sûr du résultat. Certains projets fonctionnent, parfois sur le tard, d’autres ne marcheront jamais. La recette de la manageuse d’artistes ? « Pour garder le moral, ne jamais faire de concessions sur ce que l’on aime et garder les choses qui ont du sens. C’est grâce à cette éthique qu’on tient. »

Un article issu du magazine Larsen 48 - mai / juin 2022

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