L’intégrale de la musique
La clairière | © photo : La clairière

«Tu remontes la rue du Four, tu dépasses le cimetière et tu prends le premier chemin de terre sur ta gauche qui s’enfonce à travers les champs. Tu ne peux pas nous louper. Il n’y a qu’une seule habitation. »

Nous sommes à Chastres, un village endormi de la province de Namur, plus proche toutefois de la ville de Charleroi et des lacs de l’Eau d’Heure. Antoine et sa compagne Pauline nous attendent pour nous faire visiter La Clairière, un espace de création qui combine tous les attraits d’un chalet Airbnb éco-friendly avec l’infrastructure d’une résidence artistique. « Étant musicien moi-même, (Antoine est la moitié du duo carolo RunSOFA mais chuuutt, on ne vous a rien dit, - ndlr), j’ai travaillé plusieurs fois en résidence. Pour écrire de nouvelles chansons, préparer des concerts ou tout simplement pour m’isoler dans une bulle artistique loin de mes repères quotidiens. Quand tu as l’opportunité de répéter dans un lieu culturel, tu bénéficies de conditions techniques optimales mais il y a les contraintes horaires et le logement n’est pas prévu. Si tu prends l’option du Airbnb, tu peux trouver des endroits dépaysants mais qui ne sont pas toujours propices pour jouer de la musique amplifiée. Ce n’est pas insonorisé, il y a des voisins, peu de possibilités pour installer et brancher ton matériel. »

Antoine a donc écumé le pays pendant plusieurs mois avant de trouver la perle rare, à quelques kilomètres de Marcinelle où il a grandi et où sa famille vit toujours. « Quand j’ai visité ce chalet, j’ai tout de suite craqué pour l’environnement. Il n’y a que des champs autour. Le paysage change au gré des saisons. En hiver, la vue sur la vallée est unique. En été, tu es entouré de maïs. Tu peux faire du bruit vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans déranger personne. C’est au milieu de la nature mais il y a un Colruyt à moins d’un kilomètre et la possibilité de faire un saut en voiture à Charleroi si tu dois remplacer une corde de guitare. Sans compter la baignade dans les lacs de l’Eau d’Heure ou les longues nuits étoilées pour faire des barbecues ou un feu de camp dans le jardin. »

Amplis Marshall et panneaux solaires

Antoine a acheté le chalet en 2018. Baptisé La Clairière, le lieu est fonctionnel depuis l’été 2019. Il est renseigné sur le site de Airbnb et via les réseaux sociaux. Ici, tout est histoire de passion, de famille, de musique et de bonnes vibes. Antoine a retapé l’endroit, notamment avec l’aide de ses cousins et de gens du coin en privilégiant des matériaux naturels. Sa compagne s’occupe du site Internet. La sœur d’Antoine se charge de la déco. La Clairière comprend deux chambres à coucher, une salle de bain, une cuisine. Dans le salon cosy, il y a une chaîne stéréo, des LP de Duke Ellington, des jeux de société, des livres (de l’autobiographie de Neil Young à celle de Pablo Escobar, en passant par un guide historique sur Marcinelle). L’espace de création se trouve dans une nouvelle pièce située derrière la cuisine. Lumineuse et insonorisée dans les règles de l’art, elle possède l’équipement de base pour un groupe au line-up classique : console son, enceintes, batterie Yamaha, piano droit, amplis basse/guitare Ampeg et Fender, micros, pieds de micro, pléthore de jacks et câbles XLR.

Particularité du lieu ? Il est quasi autonome. Une citerne d’eau de pluie alimente sanitaires et cuisine. Des panneaux solaires fournissent l’énergie. Si la météo est capricieuse, un fermier vient ravitailler en eau et un générateur est toujours disponible au cas où. « On a aussi mis un 4X4 à disposition si le chemin est impraticable. » Il n’y a pas de télé à la Clairière, pas de modem Internet non plus. « Mais la zone est couverte par la 4G, rassure Antoine en rigolant. Ce lieu a été spécialement conçu pour laisser un maximum de place à l’inspiration. Le but est que ses occupants se retrouvent ensemble et s’y sentent bien. On espère que l’atmosphère paisible, l’isolement et l’approche éco-responsable déteignent sur leur imagination. » Covid ou pas, le carnet des réservations est bien rempli. Le bouche-à-oreille est favorable, les photos publiées sur Instagram donnent vraiment envie (et ne mentent pas) et les tarifs défient toute concurrence : 100 euros la nuit pour 4 personnes. « Au début, on a reçu beaucoup d’artistes du nord du pays qui réservaient pour un week-end, voire pour une semaine. » Côté francophone, SOROR est un habitué des lieux. « Un endroit à la Twin Peaks, sauce Dallas, où on se sent directement “comme à la maison” », précise le quatuor. Le duo Glass Museum est aussi tombé sous le charme. « Ce lieu calme et ressourçant nous a permis de nous couper du monde quelques jours afin de composer un nouvel EP dans un cadre vert et idyllique ! On y reviendra à coup sûr », témoignent Antoine Flipo et Martin Grégoire.

Délires bucoliques

« Une fois que j’ai procédé à la remise des clefs, j’essaie de ne pas trop déranger les locataires. Le but est qu’ils restent ensemble, précise Antoine. J’’imagine que chacun connaît ici son “petit délire” et ça me fait chaud au cœur. Un musicien va se prendre une cuite monstrueuse dans le jardin. Un autre va se réveiller en pleine nuit parce qu’il a une idée géniale et va prendre sa guitare. Des liens vont se renforcer, des doutes vont s’aplanir, des rêves vont se concrétiser. Je trouve ça génial. J’ai aussi été particulièrement touché par la réaction d’un groupe italien basé à Bruxelles. Au moment de quitter La Clairière après leur résidence, ils m’ont dit qu’ils allaient faire un détour par Marcinelle et visiter le Bois du Cazier. Ils venaient de lire un bouquin que j’avais mis à leur disposition dans le salon et voulaient en savoir plus sur l’histoire de l’immigration italienne dans la région. » Après cette première phase de lancement, Antoine et sa “famille” envisagent de démarcher des salles, voire des labels pour faire connaître cet espace de création d’un genre particulier. « Une synergie avec l’Eden de Charleroi me semble une première étape logique. » Une (belle) histoire à suivre.

Un article issu du magazine Larsen°41 - janvier / février 2021