L’intégrale de la musique

Pouvoir publier sa musique sur les plateformes de streaming est crucial pour chaque musicien·ne. Des opérateurs, actifs dans la distribution digitale, permettent de le faire. Mais pour effectuer un choix, encore faut-il savoir comment ils fonctionnent…

« Il y a 20 ans, lorsque seuls les supports physiques existaient, un artiste avait besoin d’un distributeur pour que son disque se retrouve dans les magasins. Les maisons de disques étaient en situation de monopole et maîtrisaient le support. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, n’importe qui peut partager sa musique en ligne sans problème. » Damien Waselle sait de quoi il parle. Aujourd’hui à la tête de [PIAS]*  Belgium, il fut aussi l’une des chevilles ouvrières de Bang!, un label et distributeur phare de la scène "indé" belge de la fin des années 90 et du début des années 2000. L’irruption du digital, l’effondrement du marché du disque physique, Damien Waselle y a donc assisté en direct. Les chiffres ne mentent d’ailleurs pas. D’après la Belgian Entertainment Association - qui représente l’industrie des producteurs et distributeurs de musique, films et jeux vidéo en Belgique - le streaming représentait 60% du chiffre d’affaires du marché belge de la musique en 2019 contre 49 % en 2018 et  35% en 2017. Un véritable raz-de-marée qui a aussi eu un effet sur les distributeurs de disques "physiques". « C’est comme si tu jouais à Forest National et que deux ans plus tard, tu te retrouvais à la Rotonde du Botanique », situe Damien Waselle.

Dans ce contexte, le secteur de la distribution a vu débarquer de nouveaux acteurs. Leur rôle ? Servir d’interface entre les musicien·ne·s et les labels d’un côté et les plateformes de streaming de l’autre. Le tout afin que la production musicale des premiers cités soit disponible sur Spotify ou Deezer. Il leur revient aussi de collecter les royalties issus des streams et de les faire parvenir aux musicien·ne·s et labels. Un rôle finalement pas très différent de celui rempli par la distribution physique vis-à-vis des disquaires, à un détail près :  là où les distributeurs "physiques" sélectionnaient les artistes qu’ils distribuaient, bon nombre des structures actives dans la distribution digitale permettent à tout un chacun de mettre sa musique en ligne sur les plateformes de streaming, moyennant paiement. D’autres, par contre, continuent à pratiquer une sélection, tout en offrant une large palette de services.

Pas un service public

Et au début, il y eut les "agrégateurs". Très répandus, ces opérateurs sont les plus faciles d’accès. CD Baby, Awal, DistroKid, UnitedMasters… La liste est (très) longue. N’importe quel·le artiste peut faire appel à leurs services afin de déposer sa musique sur les plateformes de streaming. Attention : des différences dans l’offre existent. Par exemple, certains agrégateurs donnent accès à certaines plateformes et pas à d’autres. Ce sera donc à l’artiste d’effectuer le choix qui lui convient le mieux. Pour collaborer avec les agrégateurs, il devra bien sûr aussi payer, que ce soit via des frais de distribution et de mise en ligne (annuels, par morceau, par album…) ou une commission prise par l’agrégateur sur les streams. Issus du monde de la tech, les agrégateurs s’adressent principalement aux musicien·ne·s indépendant·e·s et se bornent la plupart du temps à ce rôle de mise à disposition des morceaux sur les plateformes et de collecte des royalties. La promotion, la mise en avant des morceaux, seront donc à charge de l’artiste.

Vous souhaitez plus, vous voulez vous sentir accompagné·e ? C’est ici qu’intervient une deuxième sorte d’opérateur : les distributeurs digitaux à proprement parler. Moins nombreux que les agrégateurs, ils ont pour noms The Orchard, Ingrooves, Believe ou encore Idol, les deux derniers cités étant français. Qu’est-ce qui les différencie des agrégateurs ? En plus d’endosser eux aussi un rôle d’interface avec les plateformes et de collecte des royalties, ces distributeurs défendent les morceaux de leur catalogue auprès des plateformes. « Un quart de notre staff de cinquante personnes remplit ce rôle, parle aux plateformes, cherche des partenariats avec elles, met en évidence les albums ou les morceaux que nous distribuons », explique Sylvain Morton, qui supervise le service de distribution chez Idol. La structure propose des contrats sur mesure teintés de marketing digital, de "track pitch", etc. Elle s’occupe aussi des métadonnées, cette empreinte digitale utilisée pour identifier, rechercher ou encore gérer les contenus (les morceaux ici en l’occurrence). « Nous enrichissons les métadonnées. Un exemple ? Dans le jazz, mentionner le nom des musiciens est intéressant », continue Sylvain Morton. Un travail important afin que les morceaux soient mieux référencés et ne finissent pas dans les tréfonds des plateformes avec deux écoutes à leur compteur.

Un "détail" : Idol ne travaille pas avec tout le monde. Ses premiers clients sont des labels, souvent importants, qui pour la plupart n’ont pas les épaules pour gérer tout cela. Il y a aussi des artistes indépendant·e·s. Mais tout comme pour les labels, ces artistes sont passé·e·s au crible d’une « politique éditoriale ». Idol choisit avec qui une collaboration "artist & label services" - comme on appelle l’ensemble des services décrits plus haut - sera enclenchée, moyennant une commission sur les streams. Exit donc le "petit" artiste à peine sorti de sa chambre. Une tendance généralisée chez ce type d’opérateur. Pourquoi ? « Nous ne sommes pas un service public. Il faut qu’il y ait de la conviction, de l’intérêt pour le projet comme pour les partenariats et le chiffre d’affaires qu’il peut générer. C’est comme toujours : quand tu commences, personne ne veut de toi et quand tu deviens connu, tout le monde a envie de te représenter », souligne Damien Waselle.

Si Idol est ce qu’on appelle un "pure player", c’est-à-dire qu’il a débuté son histoire dans le digital, d’autres structures "historiques", comme [PIAS], ont pris le train en marche et se sont lancées elles aussi dans la distribution digitale pour le compte de labels ou d’artistes. « Nous proposons un "artist & label" services, chose que nous faisons d’ailleurs depuis l’aube des temps », continue Damien Waselle. À parler d’aube des temps, qu’en est-il du téléchargement, qui fut le premier terrain de jeu de la distribution digitale ? [PIAS] comme Idol sont encore actifs dans le domaine. « Nous n’avons pas abandonné la distribution à ce niveau même si chez nous, le rapport streaming/téléchargement en est à 85/15, témoigne Sylvain Morton. Mais pour certains genres musicaux, comme le classique, le téléchargement représente encore 30% des ventes digitales. »

Sortir de la mêlée

Si on est un artiste débutant, mieux vaut donc se tourner vers les agrégateurs. Dans ce cas, pour se faire repérer, « il faudra que vous sortiez de la mêlée, que vous développiez votre audience via les réseaux sociaux, souligne Sylvain Morton. Les artistes du milieu rap sont très forts dans ce domaine. Ils ont toujours la présence d’esprit d’avoir du contenu pour promouvoir leur musique, ils collaborent, se poussent les uns les autres ».

Rayon distributeurs digitaux, des structures de taille plus modeste qu’Idol ou [PIAS] existent aussi, mais elles sont rares. En Belgique, Freaksville Music, un des pôles du label Freaksville Records, s’est lancé dans l’aventure. « Nous travaillons avec une trentaine de labels et des artistes en autoproduction », détaille Benjamin Schoos, une des têtes pensantes du projet, avant de souligner l’aspect « presque philosophique » de la constitution et de la défense du catalogue de Freaksville Music, centré sur la musique indépendante et expérimentale.

 

*Depuis la rédaction de cet article, [PIAS] a lancé [Integral] Distribution Services, nom sous lequel est désormais intégré son offre de distribution et de services dans une division distincte.