L’intégrale de la musique

Si le cinéma et les séries belges gagnent de plus en plus en crédibilité et en reconnaissance, les budgets de ces productions restent le plus souvent modestes. Le jour semble donc loin où la supervision musicale sera traitée avec autant de sérieux qu’aux états-unis. Ce qui est peut-être une bonne chose pour nos musiciens locaux, aux droits forcément plus légers à négocier que ceux des tubes internationaux.

Il est un peu fastidieux, voire complètement inutile, de chercher l’instant précis où certaines bandes sonores de cinéma se sont mises à ressembler à des compilations de chansons n’ayant pas été spécialement composées pour un film. On se souvient notamment d’Easy Rider (1969) et d’American Graffiti (1973) ainsi que du kaléidoscope auditif de Goodfellas (54 morceaux, 1990) mais c’est bien entendu Quentin Tarantino qui a véritablement rendu chaud-boulette ce concept de davantage recourir à la culture pop existante plutôt qu’à un compositeur spécifique. Depuis Reservoir Dogs (1992), on ne compte en effet plus les mariages iconiques entre morceaux musicaux savamment choisis et scènes choc, ni les chansons que personne ou presque ne connaissait avant qu’elles ne soient présentes dans un film ou au générique d’une série.

Derrière tout cela, il y a un métier, celui de « music supervisor », pleinement reconnu aux États-Unis où des personnalités comme Mary Ramos, qui assiste Tarantino dans ses choix musicaux depuis Pulp Fiction, et Tomas Golubic, qui a notamment assez génialement travaillé sur les séries Six Feet UnderBreaking Bad et Better Call Saul sont considérés comme des stars. En France, depuis quelques années, ils sont également quelques-uns à s’être officiellement lancés dans la supervision musicale, un poste qui peine toutefois à y être véritablement reconnu. En Belgique, c’est plus marginal encore. Selon Wim Coryn, de Wild Cherry Consult, il n’y aurait en effet chez nous qu’un seul véritable professionnel du secteur : lui. Très honnêtement, je ne connais pas d’autre superviseur musical en Belgique. Il y a bien des gens qui sont listés comme tels mais je ne pense pas que c’est quelque chose que tu deviens simplement pour avoir placé deux chansons dans un film. Je ne me suis personnellement donné ce titre qu’après avoir travaillé sur plus de 40 films et séries télé. Ce qui a pris des années et aujourd’hui, je suis très heureux de pouvoir travailler dans toute la Belgique mais aussi, de plus en plus, dans d’autres pays : la France et les Pays-Bas mais aussi le Canada, la Russie, la Suède... Avant tout, je suis consultant. Je sélectionne des chansons, je fouille dans les bibliothèques musicales, je m’occupe d’obtenir les droits des morceaux. C’est d’abord un boulot de recherche et de discussions créatives mais après, il y a aussi l’établissement de contrats... « Music supervisor», c’est simplement prendre la responsabilité de tout ce qui touche à la musique sur un film ou une série, du point de vue créatif mais aussi administratif.

Wim Coryn ne fanfaronne pas en se prétendant seul professionnel du Royaume. Questionnés en off à ce sujet, différents intervenants du milieu du cinéma reconnaissent en effet que sur un film, les choix musicaux sont souvent secondaires et donc le plus souvent laissés à des potes musiciens, des programmateurs de festivals ou encore que c’est au mec qui compose la musique de chercher d’autres morceaux qui collent à l’ambiance. Bref, on privilégie le Système D. David Mennessier, acheteur chez PointCulture, a ainsi débarqué en 2014 sur son premier film, l’Éclat Furtif de l’Ombre, parce que ses réalisateurs aimaient écouter ses sélections musicales sur Radio Campus. Depuis, ce garçon à la connaissance musicale assez encyclopédique a travaillé sur trois autres productions, notamment avec Joachim Lafosse. Se considère-t-il pour autant comme un véritable « music supervisor » ? Non. C’est plus un hobby. Ce n’est pas mon boulot et heureusement d’ailleurs, parce que tu as parfois l’impression de débarquer sur une production comme un cheveu dans la soupe et de générer pas mal de suspicion de la part de l’équipe. La musique est tout de même primordiale dans le rythme d’un film. Or j’ai l’impression que les réalisateurs et les producteurs n’en tiennent pas toujours compte. Il y a beaucoup d’impératifs financiers et d’égos en jeu, donc énormément de compromis. Il faut lâcher énormément de choses.

Ces choses à lâcher peuvent faire sourire. Nous est ainsi revenu l’anecdote d’une production belge persuadée qu’obtenir les droits des Beastie Boys et de Donna Summer n’était qu’une affaire de quelques euros et de seulement deux ou trois coups de fil. Ni Wim Coryn, ni David Mennessier ne s’en émeuvent. Ce n’est pas le boulot d’un cinéaste de savoir comment fonctionne le monde de l’édition musicale et des droits voisins. Mais c’est celui d’un superviseur musical de lui faire savoir que les chansons des Beastie Boys, c’est très cher et qu’il existe des solutions de remplacement. Wim Coryn : Il arrive que les cinéastes sachent exactement quelle musique et quelles chansons ils veulent. Il faut respecter ça mais aussi pouvoir suggérer des chansons plus abordables qui correspondent aux mêmes idées, au même ton. Aux États-Unis, une chanson pop se négocie le plus souvent entre 20.000 et 45.000 dollars. Chez Deutsche Grammophon, contacté par David Mennessier pour un extrait des Quatres Saisons de Vivaldi, il existe également des tarifs préétablis. Sinon, dans ce milieu, tout reste le plus souvent discutable.

Il est ainsi connu que sur Eden, le film de Mia Hansen-Love sur la French Touch, tous les morceaux, y compris celui de Daft Punk, auraient été « clearés » à un tarif préférentiel, obtenu après de longues négociations.

C’est qu’il ne s’agit pas simplement d’acheter des droits, il faut aussi souvent convaincre les artistes et ceux qui en gèrent les catalogues de l’intérêt de placer une chanson dans un film. Or, pour tout un tas de raisons, y compris souvent mauvaises et fantasques, il arrive régulièrement que ces droits soient refusés. Ou que le montant exigé soit réellement exorbitant. C’est frustrant, reconnaît Wim Coryn. Parfois, les chansons envisagées sont vraiment chères et il faut donc en trouver d’autres qui ont la même teinte, le même flow, et qui correspondent davantage au budget. Je compare cela au désir de rouler en Porsche. Il faut pouvoir se le payer mais si tu n’as pas ce budget, tu peux certainement rouler en Golf et mon boulot, c’est de « pimper » cette Golf pour qu’en fait, ça ne passe pas pour une solution de remplacement ; que cela apporte au contraire une valeur ajoutée au projet.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, la musique n’est donc pas toujours fondamentale aux yeux d’un réalisateur. En France, le superviseur musical est ainsi le plus souvent surtout chargé de « chasser les coûts », autrement dit de négocier les droits d’exploitation à la baisse grâce à ses contacts dans les maisons de disques. David Mennessier s’en désole, estimant que la consultance musicale devrait surtout se faire en amont, comme une vraie collaboration créative, et non pas après le montage, une erreur, selon lui, courante. Pour Wim Coryn, il faut toutefois ne jamais pousser sa propre opinion. Vous êtes là pour proposer des idées et des solutions mais au bout du compte, ce n’est pas votre film. Vous ne restez qu’un intermédiaire et vos victoires sont des victoires de l’ombre. Elles peuvent toutefois être belles. David Mennessier est ainsi plutôt fier d’avoir mis en contact Bénédicte Liénard et Mary Jimenez, réalisatrices du Chant des Hommes (2015), avec la musicienne Catherine Graindorge. Un budget a été libéré pour des compositions originales, qui ont été écrites et enregistrées dans de bonnes conditions et au final, tout le monde était très content. Autrement dit, les belles histoires continuent d’exister sans que leurs bandes originales ne coûtent forcément la moitié d’un tank.

Un article issu du magazine Larsen°32 - mars / avril 2019

 

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