L’intégrale de la musique
Michel Kirby | © photo : Piet Goethals

L’artiste bruxellois, véritable monument de la scène hardcore belge, vient de fêter ses cinquante ans. Cinquante ans dont plus de trente à arpenter les planches et à jouer aux quatre coins du monde avec Arkangel, Deviate ou Length of Time, trois formations mythiques et reconnues internationalement. Michel Kirby écrit aujourd’hui un nouveau chapitre de sa carrière. Résolument plus sombre musicalement.

J’ai toujours dit que je prendrais ma retraite à cet âge-là, raconte-t-il du haut du premier étage de son magasin de disques, l’Elektrocution Record Shop (rue des Pierres à Bruxelles – ndlr). Mais force est de constater que ce n’est pas encore prêt d’arriver.

C’est en 3e secondaire que Michel Kirby fait ses premiers pas musicaux en proposant une première démo, avec un groupe appelé alors Chaotic Noise. Un truc ultra-brutal. Mais on prenait ça très au sérieux : on avait fait un pressage à 50 exemplaires et on les vendait aux concerts qu’on allait voir à l’époque. Michel Kirby rejoint ensuite Mental Disturbance, une formation hybride entre le metal et le hardcore. Un groupe important dans la carrière du guitariste, non pas pour sa production – deux démos et un 45 tours – mais bien pour les personnes qu’il y rencontre et qui resteront dans son sillage fraternel. Parmi ces personnalités : Marc De Backer, qui finit pourtant par quitter Mental Disturbance pour s’installer à New York, afin d’y jouer de la gratte avec Mucky Pup et aussi avec Dog Eat Dog. Michel reste, quant à lui alors, dans la capitale belge et il intègre le groupe Catalepsy, histoire de demeurer actif. Les deux hommes resteront toutefois en contact.

Trois concerts en un jour

Puis en 1993, j’ai rejoint Deviate. C’est là que tout a vraiment débuté. Le groupe est alors plutôt bien entouré, ce qui lui permet de sauter la case « amateur ». Leur première démo devient directement album et leur nom apparaît déjà çà et là sur les affiches de festivals. Parmi les références de cette époque, le nom de Channel Zero commence à s’affirmer et la scène straight-edge H8000 (un sous-genre culturel et musical international abolissant le tabac, l’alcool et prônant entre autres le véganisme ; 8000 car issu de cette région de Flandre – ndlr. C’était une période de fusion des genres avec des groupes comme les Red Hot Chilli Peppers, Jane’s Addiction, Living Color, Fishbone ou encore les Rage Against The Machine. Il y avait bien Pantera à l’époque mais c’était une période où le metal était un peu perdu. Vu qu’on pratiquait une musique à la croisée de différents styles, il y avait une place pour nous.

L’arrivée de Jamie Locke (Madball, Sick of it All) sur l’album Thorn of the Living va attirer une attention internationale. Des tournées sont organisées un peu partout en Europe ainsi qu’au Japon. Si on l’avait voulu, on aurait pu jouer toutes les semaines. On a même fait jusqu’à trois concerts sur la même journée : deux festivals et un show en soirée où nous étions en tête d’affiche. Oui, mais voilà : Kirby ressent le besoin de s’aventurer dans un projet plus personnel et plus sombre. Il réunit alors autour de lui d’anciens comparses de Catalepsy et de Mental Disturbance et va débaucher le guitariste d’Out for Blood. Ils démarrent ainsi l’aventure Length of Time. On a signé sur Good Life Recordings (label belge fondé en 1996 et spécialisé dans le punk hardcore – ndlr), qui avait dans son écurie pas mal d’autres groupes de la scène H8000. On a sorti notre première démo et ça a tout de suite été la folie.

La quête de l'occulte 

C’est également Good Life Recordings qui lui demandera, en 2001, d’intégrer Arkangel, une formation metalcore. Les gars d’Arkangel avaient sorti deux ans plus tôt un premier album, Dead Man Walking, mais ils ne pouvaient pas le jouer sur scène en raison du départ du guitariste du groupe. Je les ai donc rejoints. Je ne les connaissais pas personnellement mais ça a bien collé. Les premières années ont vraiment été dingues, on a bien picolé et fait la fête. Le succès est à nouveau au rendez-vous : l’Europe, le Canada, les États-Unis, la Russie et aussi douze dates au Japon où ils jouent notamment devant 35.000 personnes à Yokohama. Des propositions pour d’importantes tournées finissent par arriver... mais le groupe refuse. Ça aurait nécessité qu’on soit ultra-discipliné. Et puis au fil de toutes ces années, j’en ai vu des mecs atteindre un très haut niveau, mais qui se faisaient au final sincèrement chier... On ne voulait pas perdre notre âme.

Deux années plus tard, Deviate donne un ultime concert à l’Ancienne Belgique. Il y a bien eu quelques tentatives de relancer la machine par la suite mais l’alchimie entre les membres ne prend plus. La page est désormais tournée pour Michel Kirby malgré de récurrentes rumeurs de reformation. Il cherche aujourd’hui à poursuivre sa quête musicale avec des sonorités plus obscures et plus occultes aussi, un véritable fil rouge dans sa carrière. En 2011, il convoque à nouveau quelques proches et initie Goatcloaks. Il délaisse la vitesse d’exécution, sceau de toutes ces formations metal, pour laisser s’installer des tempos plus lents et plus sombres. Le groupe compose 7 ou 8 morceaux, sans cesse peaufinés, travaillés et encore retravaillés... tant et si bien qu’ils ne parviennent jamais jusqu’au mix final, faute d’argent. Le batteur de dEUS était même venu enregistrer sur un titre ! On a essayé de redémarrer le truc par après, mais ça n’a jamais pris. Il n’y a eu donc officiellement qu’un seul morceau, publié sur Internet.

L'appel de la mort

Il y a environ cinq ans, Marc du Marais (chanteur et membre fondateur du groupe La Muerte ndlr)  débarque un beau jour et fait part à Kirby de son projet de relancer pour un unique concert à Gand, le mythique groupe bruxellois. Marc m’a proposé d’intégrer la bande et de refaire le casting. J’ai donc été chercher Christian Z. que je connais depuis 20 ans, depuis Length of Time. Et puis j’ai contacté Tino De Martino, de Channel Zero, qui avait aussi joué avec nous au moment de Mental Disturbance. Ce qui ne devait être qu’un « one shot » a finalement relancé la flamme. La Muerte prend le pari de sortir un nouvel album, pas question de se contenter de vivre sur les vieux morceaux. Une audace qui s’avère gagnante. Les chroniques ont été très bonnes. Je suis heureux pour eux, car leur musique était à l’époque un ovni et c’est seulement aujourd’hui que le public est prêt à les recevoir.

Mais ce qui occupe désormais majoritairement Kirby, c’est Wolvennest. Démarré un an avant de rejoindre l’aventure La Muerte, ce projet répond à l’envie de l’artiste de s’aventurer dans des contrées encore plus ambiantes, psychotiques et psychédéliques que celles déjà empruntées avec Goatcloaks. Comme à chaque fois, le musicien convoque des proches : Marc De Baker, plus de trente ans après Mental Disturbance. Il suffit de voir ce qu’il fait avec Mongolito pour se rendre compte que c’est un des meilleurs guitaristes de Belgique.

La musique de Wolvennest frôle les contours du black metal ainsi que d’autres styles encore plus expérimentaux. Avec ce groupe, je retrouve vraiment des gens passionnés. J’ai fait beaucoup de choses dans la scène hardcore, elle m’a beaucoup apporté. Mais là je dois être honnête : le feu est un peu éteint de mon côté. À l’heure du bilan des cinquante ans, l’artiste préfère regarder devant lui : Je sens que j’ai acquis une forme de maturité. C’est certain, j’entame un nouveau cycle.

Elektrocution Record Shop

Michel Kirby a 17 ans lorsqu’il commence à travailler pour Discomania, un disquaire situé dans le centre de Bruxelles. C’était un endroit culte dans le milieu, tu pouvais y obtenir ce que tu voulais en metal, hard rock et hardcore punk. il y passe plusieurs jours par semaine, le métier rentre. Puis un jour, le patron annonce qu’il retourne au pays, en Grèce. Kirby trouve alors un emplacement quelques rues plus loin et ouvre son magasin : elektrocution record shop. Un gros coup de chance. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas, je ne suis pas du genre à croire au hasard. Bien que la tendance générale se porte sur la vente en ligne, le musicien préfère quant à lui rester old school. Pas de site internet, pas de Page Facebook, je vais aux foires du disque et j’y déniche des occasions. Je ne propose pas que du metal, je fais aussi un peu de chanson française et de la musique de film. je suis plutôt dans la tradition : les gens viennent au shop et découvrent par eux-mêmes.

 

Un article issu du magazine Larsen°33 - mai / juin 2019