L’intégrale de la musique

Le saxophoniste-flûtiste Jacques Pelzer disparaissait en 1994. Aujourd’hui, sa maison accueille depuis quinze ans le meilleur du jazz belge et des grands noms européens et américains. Grâce à la volonté et l’énergie de quelques mordus, le Jacques Pelzer Jazz Club - le « JP’s » - est devenu un incontournable de la scène belge.

La Maison Pelzer, c’est une histoire, une aventure qu’il est impossible de ne pas évoquer lorsqu’on parle de jazz à Liège et en Belgique. Petit retour en arrière : dans la seconde partie des années 40, trois musiciens d’envergure internationale vivent et jouent à Liège : Bobby Jaspar et Jacques Pelzer font partie des Bob Shots – the most famous jazz combo in Europe selon la revue américaine Down Beat – groupe auquel se joint à l’occasion le guitariste René Thomas. Si Jaspar et Thomas sont très souvent à Paris, puis Outre-Atlantique où ils rencontrent et jouent avec Miles Davis, Stan Getz, Sonny Rollins..., Pelzer, alors jeune marié, ouvre sa pharmacie au Thier-à-Liège. La renommée du Festival international de Comblain-la-Tour amène chez Pelzer de grands noms du jazz comme Bill Evans, Stan Getz, John Coltrane, Elvin Jones, Archie Shepp, Don Cherry, Lee Konitz... et le trompettiste Chet Baker qui fera du lieu son QG en Europe.

Aujourd’hui, au-dessus du salon/salle-à-manger qui fait office de salle de concert, se trouve la chambre de Chet comme on l’appelle encore affectueusement aujourd’hui, quasi inchangée depuis son dernier passage à Liège en 1988. Alors dire que le lieu est un endroit mythique du jazz en Belgique est bien plus qu’une expression, c’est une réalité. Micheline Pelzer, fille de Jacques et batteuse, aujourd’hui disparue, l’avait promis à son père : la maison serait occupée par un musicien. C’est le batteur Marc Bienfait qui depuis occupe les lieux : Je suis arrivé en 1999. Après l’arrêt de la pharmacie, Jacques avait reloué une partie de l’espace à un épicier. Après son décès, pour Micheline qui était toujours à Paris, c’était compliqué de s’occuper de la maison et elle m’a proposé d’y habiter. J’y ai alors organisé quelques petites soirées avec des copains comme Jacques Pirotton ou David Timsit. Et c’est fin 2003 qu’on s’est lancé dans l’aventure du club. Il a fallu un an de travaux pour tout refaire, électricité etc. tout en gardant l’âme de l’endroit. Et on a ouvert en avril 2005.

Quand on met un pied dans le Club, impossible de passer à côté de l’histoire du lieu : des dizaines de photos du saxophoniste-flûtiste, parfois entouré d’invités prestigieux, couvrent les murs, on y découvre aussi toutes les pochettes des albums auxquels le « Hipster » a participé, aussi les affiches qui étaient collées à l’origine au mur de la cage d’escalier : Micheline était très sentimentale, elle gardait tout, on a des collectors pas possible. Ce fond documentaire et le lieu ont joué dans la pérennité du club. Si ça avait été ailleurs, ça se serait sûrement arrêté depuis longtemps.

Plus de 650 concerts plus tard, le « JP’s » propose toujours une programmation qui allie grands noms et vraies découvertes, l’occasion d’intenses souvenirs pour un fidèle comme Claude Loxhay, chroniqueur de jazz : J’ai le souvenir de concerts mémorables d’Américains comme Steve Grossman ou Gary Smulyan, d’Européens avec le quintet de Mauro Gargano avec l’Italien Francesco Bearzatti, de Serge Lazarévitch en quintet avec Airelle Besson et Sylvain Beuf, des Français Yoann Loustalot et Fred Borey venus y enregistrer «live» un album pour un label espagnol.

En plus d’autres grands noms qui ont performé dans le club, tels Peter King, Denise King, Don Menza, Ralph Moore, Dave Pike, David Schnitter, la scène a eu droit au gratin belge dans toute sa splendeur, tous sont venus, trop nombreux à énumérer : Leurs fils aussi, dit Catherine, une des chevilles ouvrières du club, je pense à Greg Houben et toute sa clique qui ont apporté un souffle de fraîcheur, le simple bonheur de jouer ensemble. Ils ont rajeuni la scène jazz, la maintiennent vivante et bien en forme. Plus récemment, on a eu le plaisir de voir éclore une nouvelle génération de talents : Antoine Pierre, Igor Gehenot avec Metropolitan Quartet, Bram de Looze et Basile Peuvion avec Momentum sortaient de l’adolescence lors de leurs premiers concerts au Pelzer’s Jazz Club. L’occasion est belle aussi de découvrir des musiciens totalement inconnus en Belgique : Cordoba Reunion (Argentine), Corpo (Suède), Edgar Van Asselt (Pays-Bas), Max Mantis (Suisse) et tout récemment le quartet italien des frères Concettini.

Le club n’est pas grand – maximum 72 places – et cette proximité est appréciée par un public très mélomane et sensible à une acoustique naturelle de grande qualité. Si un soir il y eut une visite de la police pour tapage nocturne, elle a vite viré à la bonne blague liégeoise : les policiers se sont en effet présentés un soir de concert de... Mélanie de Biasio ! Et parlant à voix haute en entrant dans la salle, les policiers se sont vus accueillis par les « chuuut ! » des spectateurs !

La jam du dernier dimanche du mois est une nouveauté appréciée pour la qualité des intervenants et pour l’heure des concerts, à 18h : Elle contribue également à faire découvrir l’endroit à des personnes qui ne sont pas disponibles en semaine, on y vit chaque fois des beaux moments, dit Catherine. Le club entretient d’excellents rapports avec d’autres endroits qui jazzent à Liège : la Maison du Jazz y organise des concerts Jazz and More cinq fois par an et en matière de programmation, l’entente est excellente avec d’autres salles : être collègues plutôt que concurrents !

Après quinze années, le club est définitivement sur les rails : Nous sommes reconnus par Art&Vie et recevons une aide appréciable de la Province de Liège pour le budget artistique, de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour le fonctionnement et de la Région par le biais d’emploi APE. Nous pouvons donc fonctionner avec une sérénité relative.

Un article issu du magazine Larsen°37 - mars / avril 2020