L’intégrale de la musique

En Fédération Wallonie-Bruxelles, les radios sont censées respecter des quotas de diffusion de musiciens locaux. Et elles le font plutôt bien. Certains artistes considèrent cependant que ces quotas ne sont pas assez élevés. Ils plaident donc pour qu’on les augmente. Un dossier vieux de plusieurs années que la crise de la Covid-19 vient peut-être de relancer.

«En Fédération Wallonie-Bruxelles, nous avons beaucoup de difficulté à découvrir nos artistes par nous-mêmes. Il faut souvent qu’ils marchent à l’étranger avant que nous nous penchions sur leur cas. » Charles Gardier est connu pour être le co-fondateur des Francofolies de Spa. C’est aussi un homme politique qui ne tourne pas autour du pot dès lors que l’on aborde le manque de reconnaissance supposée des artistes estampillés “FWB” sur leur propre territoire. Un phénomène qui, d’après l’élu MR, durerait « depuis des dizaines d’années » et qui l’a poussé à devenir partisan de quotas de diffusion de ces mêmes artistes sur les ondes radios. Pourquoi ? Parce qu’ils constitueraient un moyen d’« amorcer la pompe ». « Si plus de musiciens issus de la FWB sont diffusés sur les ondes, cela leur procurera non seulement plus de droits d’auteurs, mais cela amènera aussi plus de monde dans les salles de concert, plus de moyens pour les programmateurs, les roadies, les structures chargées du catering », détaille-t-il. C’est donc tout un secteur qui en sortirait renforcé, même si les quotas ne constituent pas la seule manière de venir en aide aux artistes issus de la FWB. Pour Fabian Hidalgo, coordinateur de la Fédération des Auteurs-Compositeurs et Interprètes Réunis (FACIR) – qui rassemble 800 membres “tous styles de musique confondus” – travailler à une plus grande continuité de la chaîne de soutien proposée aux artistes par la Fédération pourrait aussi constituer une solution. « Certains d’entre eux reçoivent parfois une aide à la création d’un album, mais n’entrent par exemple pas en ligne de compte pour Propulse », illustre-t-il. Malgré cela, Fabian Hidalgo – rejoint en cela par Charles Gardier – note que les quotas possèdent un avantage non-négligeable par rapport à d’autres pistes de travail : ils ne coûtent rien et sont actionnables facilement.

Attention : des quotas de diffusion d’artistes “FWB” existent déjà en Fédération Wallonie-Bruxelles. Et ils sont plutôt bien respectés par les radios. Mais pour Charles Gardier et la FACIR, ils seraient insuffisants. Alors que la crise liée au Covid-19 a souligné la fragilité structurelle du secteur artistique et que le cabinet de Bénédicte Linard (Écolo), ministre de la Culture et des Médias, travaille à une refonte des quotas pour les radios privées, le débat autour de ce dossier semble relancé.

Hausse des quotas, perte de qualité ?

Cédric Mauer a bonne mémoire. Les petites cellules grises de cet assistant à l’unité radio pour le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) sont en tout cas capables de remonter jusqu’à 2008, première année au cours de laquelle les radios privées se virent réellement appliquer des quotas de diffusion d’artistes issus de la Fédération Wallonie-Bruxelles. À l’époque, ceux-ci ne sont pas très élevés : 4,5%, alors que du côté du service public, la RTBF prévoit déjà de monter à 10%. Pourtant, les débuts sont difficiles. « Les radios avaient du mal à respecter les quotas et finissaient toujours par diffuser du Pierre Rapsat ou du Maurane », se souvient Cédric Mauer. Pire : après quelques temps, le CSA constate qu’elles ont aussi tendance à diffuser une « proportion intéressante » d’œuvres “FWB” mais à des heures tardives ou durant la nuit.

Malgré ces ratés au démarrage, Cédric Mauer note aujourd’hui diplomatiquement que « les radios se sont montrées intéressées par les quotas ». Elles auraient diversifié leurs “playlists”, « même si ce n’est pas quantifié », concède-t-il. Et elles respectent les quotas alors que les ambitions ont été revues à la hausse depuis quelques années. Pour les radios privées, on est ainsi passé à 6% d’œuvres “FWB”, dont 4,5% doivent être diffusées entre 6h00 et 22h00. Quant à la RTBF, son contrat de gestion fixe un objectif de 12% pour des radios comme La Première, Vivacité ou encore Pure, dont 10% à diffuser entre 6h et 22h. Un cap aisément atteint par les différentes chaînes. En 2017, Bel RTL diffusait 8,5% d’artistes “FWB”, Fun Radio 13,4%. Du côté de la RTBF, La Première montait à 22,24% en 2018, Vivacité à 13,72% et Pure à 21,46%.

Pourtant, ce tableau a priori satisfaisant ne convainc pas tout le monde. Fabian Hidalgo estime que la hausse récente des exigences en matière de quotas n’a fait qu’entériner une situation déjà existante. « Ces nouveaux quotas étaient déjà atteints par les radios avant les modifications », assène-t-il. Surtout, les objectifs ne seraient pas assez élevés. Pour la FACIR, en ce qui concerne le service public, la FWB devrait s’inspirer de ce qui se fait du côté néerlandophone où la VRT a fixé un quota de 25% d’artistes flamands pour Radio 1, Radio 2, Studio Brussel et Klara. La fédération va même plus loin : elle souhaite aussi l’établissement de sous-quotas permettant de mettre en évidence des artistes moins connus ou plus récents. Une piste que le CSA avait déjà évoquée en 2015 dans le cadre d’une série de recommandations mais qui n’avait pas été retenue par les autorités de l’époque. « Il existe un gros manque de volonté politique », déplore d’ailleurs Fabian Hidalgo en pointant une intervention de l’ancien ministre des Médias, Jean-Claude Marcourt (PS), qui affirmait lors d’une séance du parlement de la FWB datée du 4 octobre 2017 que « Nous souffrons d’une insuffisance de création de musique. » « Il y a toujours cette idée qu’une hausse des quotas entraînera une perte de qualité sur les ondes alors que tout au long des tremplins comme le Concours Circuit, le niveau des artistes est monstrueux », souligne le coordinateur de la FACIR, qui a aussi dans son viseur les programmateurs actifs au sein des radios. « Il existe une vraie méconnaissance du terrain », ajoute-t-il à ce propos. Une impression partagée par Charles Gardier. « Tous les programmateurs que j’ai pu rencontrer me disent qu’il y a un manque de qualité. Une vision qui n’est clairement pas la mienne », peste-t-il.

La Covid-19 en juge de paix ?

Passionné de musique, DJ, Bernard Dobbeleer est aussi chargé de projet sur les contenus musicaux à la RTBF. « Je suis coordinateur musical sur les différentes radios de la RTBF », précise-t-il. Pour lui, les déclarations de Fabian Hidalgo ou de Charles Gardier sont « un procès injuste. À la RTBF, il existe une vraie démarche de découverte de talents de chez nous, il n’y a pas de nonchalance », jure-t-il. Le chargé de projet liste les artistes censés avoir été dépistés par Pure (FM) comme Lost Frequencies ou Henri PFR. Et défend le bilan des radios de service public en termes de quotas. « Tarmac, par exemple, est à 19% d’artistes FWB. Je pense que nous sommes assez proches de la réalité de la production au sein de la Fédération. Diffuser plus que cela nous contraindrait à baisser les standards de qualité », argumente-t-il. Pour le reste, Bernard Dobbeleer renvoie la balle au politique. Cela tombe bien : une refonte du décret qui définit les quotas pour les radios privées est aujourd’hui sur la table. D’après le cabinet de Bénédicte Linard, le quota d’artistes “FWB” à diffuser devrait passer de 6 à 10% sur une période de cinq ans. Rien n’est par contre prévu pour la RTBF, mais le cabinet fait remarquer que depuis le début de la crise du Covid-19, la chaîne publique « a augmenté le nombre de passages d’artistes de la FWB de près de 40% pour un volume total de plus de 12h par jour : soit en moyenne deux heures de programmation musicale d’artistes de la Fédération par chaîne hertzienne et par jour ».

Une situation qui pousse Charles Gardier à lâcher cette phrase en guise de conclusion. « Je constate que suite à la crise, les quotas qui étaient soi-disant impossibles à relever et à rencontrer sous peine de perte de qualité l’ont été facilement. Les programmateurs ont trouvé des artistes FWB. Est-ce que par hasard il n’y aurait pas eu un peu de mauvaise volonté pendant un certain temps ? »


Un article issu du magazine Larsen°39 - septembre / octobre 2020